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L'industrie du troisième millénaire

  in Le Figaro - lundi 31 octobre 2005

« Alors que le marché mondial de l'art tutoie des sommets qu'il n'avait plus fréquentés depuis 1991, que le chiffre d'affaires des artistes nés après 1940 a doublé en un an, la France décroche. »

 

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L'art français à l'écart de la frénésie anglo-saxonne

Artistes sous-cotés, ventes en baisse, la France reste en marge de la frénésie du marché mondial, dont témoigne la Foire de Cologne jusqu'à demain. Dominique de Villepin a présenté des mesures en faveur de la création.

Florentin Collomp
[31 octobre 2005]

AVEC la mort d'Arman il y a huit jours, la France perd l'un de ses artistes vivants majeurs, et l'un des mieux cotés. Ce pilier du néoréalisme, décédé à 76 ans, occupait la vingtième place du classement mondial des sculpteurs établi par la base de données spécialisée Artprice. Sa cote a doublé entre 1996 et 2005 et frise des records. Au panthéon des gloires françaises de l'art contemporain, il rejoint son ami César, Yves Klein, Bernard Buffet ou Niki de Saint Phalle, les poids lourds actuels de l'art contemporain français. Tous disparus. Mais où est la relève ?

Alors que le marché mondial de l'art tutoie des sommets qu'il n'avait plus fréquentés depuis 1991, que le chiffre d'affaires des artistes nés après 1940 a doublé en un an, la France décroche. Leader des ventes aux enchères après-guerre, la France détenait encore un tiers du marché au début des années 90, chutant inexorablement à 9% en 1995, 5% en 2003 et moins de 3% des ventes mondiales d'art contemporain l'année dernière. «Elle reste complètement en marge du mouvement haussier soutenu constaté aux Etats-Unis», note un expert d'Artprice. En face, les Etats-Unis confortent leur domination, avec 58% des transactions. Mais c'est surtout Londres qui taille des croupières à Paris depuis quinze ans, passée de 4% à 27% du montant total des ventes.

Le premier artiste français à la… 74e place

A la domination de la place de marché londonienne, s'ajoute l'arrogante suprématie des artistes anglo-saxons – et particulièrement anglais – sur leurs homologues français. En tête depuis quatre ans du Top 10 des artistes actuels d'Artprice, Damien Hirst (né en 1965) est le plus éminent représentant de la génération des Young British artists, qui ont émergé sous l'aile du collectionneur Charles Saatchi. Sa cote a progressé de 530% depuis 1997 ! L'an dernier, il s'est vendu pour la bagatelle de 19,2 millions d'euros de ses oeuvres, contre 2,8 millions pour Arman. Ses compatriotes Jenny Saville (née en 1970) ou Chris Ofili (né en 1968) sont aussi des habitués du haut de ce classement. Pour y débusquer un artiste français, il faut descendre jusqu'à la... 74e place, celle d'Annette Messager, Lion d'or de la Biennale de Venise. Avec Bernard Frize, Philippe Perrin ou Jean-Marc Bustamante, elle fait partie des rares français à connaître un rayonnement international. Quant aux Etats-Unis, les oeuvres d'artistes âgés de moins de 45 ans se sont adjugées en moyenne (dans les ventes aux enchères) 58 607 euros, contre... 3 023 euros en France. Et les Allemands ou les Italiens surpassent eux aussi les Français. Peu présents dans les ventes, peu cotés, peu représentés dans les galeries internationales, nos compatriotes sont aussi rarement exposés dans les musées à l'étranger, et vivent pour l'essentiel des achats de l'Etat. Quand le premier collectionneur français, François Pinault, décide en mai dernier d'installer sa fondation à Venise plutôt qu'à Billancourt, l'art français désespère.

C'est dans ce tableau noir que s'est ouverte la saison des foires internationales, exacerbant les tensions. Après la foire de Bâle, la plus importante, en juin, les collectionneurs ont écumé la Fiac à Paris et Frieze à Londres, avant de se retrouver jusqu'à demain à Cologne. En deux ans d'existence, Frieze, créée en 2003, a bousculé l'existence tranquille de la Fiac parisienne, 32 éditions au compteur. Jeune galeriste parisien, Grégoire Maisonneuve a exposé sur les deux foires. «Je reviens juste de Frieze, témoigne-t-il. On sent qu'il y a là-bas de l'argent, de jeunes collectionneurs très réactifs, c'est aussi là que sont implantées les grandes maisons de ventes. Tandis que la Fiac est une foire assez française, avec une dimension internationale relative.»

Commissaire général de la Fiac, Martin Bethenod s'énerve : «Je suis peiné qu'on cède en France de manière déraisonnable à cette anglomanie, opposant Frieze à la Fiac, qui sont complémentaires. D'aucuns s'ébahissent de la présence de Claudia Schiffer à Frieze feignant d'ignorer celle de Sharon Stone ou de Jane Fonda à la Fiac.» La création réduite à un combat de stars ? Martin Bethenod assume : «Les grandes foires sont devenues des opérations de communication où tout compte, y compris le glamour. Dans cet univers de concurrence très forte entre Paris, Londres et New York, il m'a semblé que le seul moyen de s'en sortir était de jouer à fond la carte de l'attractivité de Paris, en profitant de la concomitance de notre calendrier avec celui des collections de prêt-à-porter.» Et même l'ouverture médiatisée du magasin Vuitton des Champs-Elysées est citée à l'appui. Résultat, l'énergie de Martin Bethenod, aux commandes de la Fiac depuis deux ans avec la directrice artistique Jennifer Flay, a porté ses fruits. La Fiac 2005 a été le meilleur cru depuis des années.

De jeunes galeristes réussissent à émerger

«En 2004, nous n'avions pratiquement rien vendu, et nous n'étions pas les seuls, à quelques exceptions près. Cette année, c'est tout à fait l'inverse», se félicite Jean Frémon, directeur de la galerie Lelong, présente à Paris, New York et Zurich. Il a enregistré environ un million d'euros de ventes à la Fiac (Foire internationale d'art contemporain). «Paris s'était endormi sur ses lauriers et a mis du temps à réagir, mais le redémarrage est en cours, il y a une vaste marge de progression», estime Martin Guénet, responsable des ventes d'art contemporain chez Artcurial. Aux chiffres – cruels – des ventes publiques, il faut aussi additionner l'activité des galeries, inquantifiable. Signe du renouveau, de jeunes galeristes émergent. Parfois hors des sentiers battus, comme Grégoire Maisonneuve, 30 ans, qui s'est installé près du Père-Lachaise, dans le XXe arrondissement parisien.

Et si l'exception française avait du bon ? «Il faut arrêter de s'en plaindre, de se complaire dans une autocritique néfaste, et voir les avantages de la situation : nous ne sommes pas soumis à la starisation, à la spéculation, aux diktats du marché», positive Grégoire Maisonneuve. Avec ses artistes qui n'ont pas la grosse tête, il peut offrir des oeuvres accessibles (entre 500 et 10 000 euros) à de jeunes collectionneurs, moins fortunés que les golden boys de Londres ou de New York, appelés à devenir les mécènes de demain.

Couronnant cet optimisme retrouvé, la visite de Dominique de Villepin à la Fiac a mis du baume au coeur des spécialistes. Souhaitant «refaire de la France l'un des foyers les plus vivants de la création contemporaine», le premier ministre a annoncé des mesures, notamment fiscales (sur les revenus des artistes, la transmission d'oeuvres d'art, le mécénat). «Je ne suis pas sûr d'avoir vu ça depuis Pompidou», s'enthousiasme Martin Bethenod. D'autres invoquent même Malraux, dont l'action au ministère de la Culture à la fin des années 50 n'a pas été sans lien avec l'émergence des nouveaux réalistes, dont Arman.

Florentin Collomp
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